Yogâmsa ou le Jardin des Mères-Veilles

A l'école de Yoga de Poitiers ou à domicile.

LE JARDIN DES LECTURES

Publié le 27 Décembre 999

LE JARDIN DES LECTURES

 

 

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(Extrait du chapitre 6)

 

 

...Je ramène la question sur ces exercices respiratoires dont les yogis font tant de cas et qu'ils entourent si soigneusement de secret. Brahma m'arrête aussitôt en disant qu'il ne lui est pas permis pour le moment de m'en montrer plus qu'il n'en a fait, mais qu'il peut me donner quelques détails sur les théories du Yoga à ce point de vue.

 

« La nature a fixé  à 21,600 le nombre de nos échanges respiratoires entre deux levers de soleil. Une respiration trop rapide, bruyante et agitée accélère ce rythme et par conséquent raccourcit la vie. Une respiration lente, profonde et calme économise sur cette allocation et par conséquent prolonge la vie. Les échanges économisés finissent en s'ajoutant par former une importante réserve où l'homme peut puiser des années de vie supplémentaires. Les yogis respirent donc plus lentement que le commun des hommes et ne s'en trouvent pas incommodés, mais je ne puis vous en dire plus sans transgresser mes serments.....

 

Nos maîtres possèdent la clef de ce mécanisme respiratoire. Ils savent que la circulation du sang et la respiration sont en étroite connexion; ils savent aussi que l'esprit est en rapport direct avec elles, ils possèdent ainsi le secret d'éveiller la conscience spirituelle en agissant sur la respiration.

Il convient d'ajouter que le souffle n'est que l'expression physique d'une force plus subtile qui est le support véritable du corps : c'est cette force qui se cache invisible, dans tous nos organes vitaux.

Quand elle quitte le corps, la respiration s'arrête, et c'est alors ce que nous appelons la mort.

Le contrôle de la respiration permet de contrôler dans une certaine mesure ce courant invisible. Mais encore que nous poussions à l'extrême le contrôle du corps au point de contrôler même les mouvements du cœur, ne vous imaginez pas surtout que nos anciens Sages n'ont eu que le corps et les organes en vue quand ils commencèrent à enseigner notre système ! »

 

Que les anciens sages aient voulu ce qu'ils ont voulu, je ne pense pour le moment qu'à une de ses dernière phrases :

 

« Vous pouvez réellement contrôler les mouvements du cœur ?

- oui, nos organes végétatifs, le cœur, l'estomac, le rein

- Comment y parvenez-vous ?

- Par l'action de la volonté combinée avec des exercices appropriés. Bien entendu ceux-ci font partie des degrés supérieurs du Yoga. Ils sont très difficiles et peu d'adepte arrivent à les exécuter comme il faut. Grâce à ces pratiques je suis pour ma part parvenu à contrôler dans une certaine mesure les muscles cardiaques et, en agissant sur le cœur, à dominer les autres organes.

- Voilà qui est vraiment extraordinaire.

- Vous croyez ? Tenez, placez votre main sur ma poitrine, à la place du cœur. »

 

Tout en prononçant ces mots Brama prend une position bizarre et ferme les yeux.

J'obéis et j'attends, pendant quelques minutes je ne remarque rien d'anormal. Puis graduellement je sens se ralentir les battements du cœur. Ils sont plus lents, plus lents encore et un frisson d'horreur me saisit quand je les sens distinctement s'arrêter. Je compte : le phénomène dure plus de sept secondes. Est-ce une hallucination ? Mais non, je me tâte, je suis bien éveillé. Je suis soulagé quand les battements reprennent, comme si l'organe renaissait à la vie, s'accélère et redevienne normaux. Mais ce n'est pas avant quelques minutes que le yogi revient de son absorption et rouvre les yeux.

« Avez-vous senti ?

-oui, très distinctement. »

 

Qu'est-ce qu'il va encore inventer ? Effectivement, comme s'il lisait mes pensées, Brama continue :

« Ce n'est rien en comparaison de ce que peut mon maître. Il est capable d'isoler une artère et d'y régler, d'y arrêter même la circulation. Moi-même, je suis arrivé à un certain résultat dans ce sens, mais je ne puis en faire autant.

- Montrez-moi, voulez-vous ? »

 

Il me tend son poignet et me prie de lui tâter le pouls. Je le sens très nettement ralentir, puis s'arrêter. J'attends anxieusement qu'il recommence à battre. Une, deux minutes se passent, pendant lesquelles j'ai conscience de chaque secondes qui s'écoule. Trois minutes...à trois minutes et demie je commence à percevoir un léger retour à la vie. La tension diminue et bientôt le pouls bat de nouveau normalement.

 

« C'est étrange, dis-je involontairement.

- ce n'est rien encore, répond-il sans la moindre forfanterie.

- Puisque c'est le jour, ne voulez pas me montrer encore autre chose ? »

 

Brama hésite cette fois :

 

« Soit, mais ce sera la dernière, tenez-vous ensuite pour satisfait. Je vais maintenant suspendre mon souffle.

- Mais vous pouvez en mourir », lui dis-je de plus en plus nerveux. Cette remarque a le don de l'amuser.


« Mettez la main sous mes narines »

 

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J'obéis. Je sens très nettement sur la peau le souffle tiède de l'air expiré. Brama ferme les yeux, s'immobilise dans une rigidité de marbre. Va t-il entrer en extase ? Je n'ose bouger la main; peu à peu le souffle diminue puis s'arrête. Je surveille les narines, les lèvres, les épaules, le thorax, nul mouvement, nul signe extérieur de respiration.

Ce ne sont pas des preuves absolues, je le sais et je voudrais trouver autre chose. Il n'y a de miroir dans la pièce, mais voici un petit cendrier de cuivre poli. Essayons. Je le tiens sous les narines, puis devant les lèvres. Aucune buée ne ternit la surface du métal. Ce n'est pas possible ! Dans cette maison banale, dans cette ville endormie, je serais tombé sur quelque chose de tout à fait original, sur un phénomène dont l'étude s'imposera quelque jour à nos savants européens !

L'évidence est là, aveuglante. Le yoga n'est pas un mythe.

Quand Brama sort de cet état apparent de catalepsie, il paraît fatigué.

« Etes-vous satisfait ? Me dit-il, mais cette fois avec un sourire un peu las.

 

- Mieux que satisfait, mais je renonce à comprendre.

- Je n'ai pas le droit de vous expliquer. La rétention volontaire du souffle n'est permise qu'aux adeptes déjà avancés dans la science du Yoga. Elle peut paraître une folie à un Européen, elle a pour nous une grande importance.

- On nous enseigne pourtant que l'homme ne peut vivre sans respirer, ce n'est pas une folie, je suppose ?

- Non, mais c'est inexact. Je peux retenir mon souffle pendant deux heures si cela me convient. Je l'ai fait souvent et n'en suis pas mort, comme vous le voyez. » Tout cela dit avec le sourire. 

 

« Je n'en reviens pas, vous ne pouvez rien m'expliquer mais peut-être pouvez me dire quelques mots de la théorie ?

- Cela oui. Nous pouvons prendre exemple de certains animaux, c'est je vous l'ai dit, une des méthodes favorites de mon maître. Un éléphant, qui respire beaucoup plus lentement qu'un singe, vit aussi beaucoup plus longtemps ; il en est de même de certains grands reptiles relativement aux chiens par exemple. Il semble donc qu'il y est un rapport entre la respiration et la longévité. Allons plus loin. On trouve dans l'Himalaya des chauves souris qui dorment pendant tout l'hiver.

 

Tout cela est évidemment fort curieux, mais moins convaincant que ces démonstrations de tout à l'heure. C'est une notion tellement bien enracinée chez vous que la respiration est une fonction essentielle de la vie qu'il n'est pas si facile que cela de s'en débarrasser.

 

« Je crois bien que nous autres Européens n'arriverons jamais à comprendre que la vie puisse continuer si la respiration est arrêtée.

- Mais la vie continue toujours. La mort n'est qu'un mode de l'existence.

- Vous ne prétendez tout de même pas vaincre la mort ?

- Pourquoi pas ? »

 

Brama me regarde étrangement mais sans se départir de sa bienveillance.

A cause des possibilités que je lis en vous, je vais vous livrer un de nos secrets, mais à conditions...

 

" qui est...?

- que vous n'essaierez pas de pratiquer d'autres exercices que ceux que je croirai pouvoir vous enseigner.

- D'accord.

- Alors tenez parole. Vous êtes-vous figuré jusqu'ici que l'arrêt de la respiration amenait très rapidement la mort ?

- Oui.

- N'est-il pas tout aussi raisonnable de croire qu'aussi longtemps que le souffle est retenu dans le corps, la vie elle-même y est conservée ?

- Il me semble en effet...

- Eh bien ! Nous ne prétendons pas autre chose. Nous disons simplement que celui de nos adeptes qui arrive à retenir son souffle à volonté retient par là même en lui le souffle vital. Saisissez-vous ?

- J'y tache

- Imaginez donc qu'un adepte du yoga soit capable de retenir son souffle, non seulement par jeu pendant quelques minutes mais pendant des mois, pendant des années. DU moment que vous admettez que là où il y a du souffle il doit y avoir de la vie, ne voyez-vous pas là pour l'homme une chance de vie prolongée à volonté ? »

 

Je ne sais plus que dire. Comment taxer cette assertion d'absurdité ? Nos alchimistes médiévaux ont déjà rêvé ce rêve, et la mort les frappait l'un aprés l'autre devant leurs cornues où ils cherchaient l'elixir de vie ! Brama s'abuse peut-être, mais il ne cherche pas à me tromper, c'est certain. Ce n'est pas lui qui est venu au-devant de moi, pas plus qu'au devant d'aucun disciple.

Serait-il fou ? Mais non, il raisonne en toutes choses avec une parfaite lucidité. Il s'abuse donc tout simplement ? Quelque chose m'avertit que non. Je ne sais que penser.

 

« Vous n'êtes pas convaincu ? N'avez-vous pas entendu parler du fakir qui fut enterré par Ranjeet Singh dans un caveau de Lahore ? L'inhumation eut lieu en présence d'officiers anglais et du dernier des rois des Sikhs. La tombe fut gardée par des soldats pendant six semaines, au bout desquelles on sortit le fakir sain et sauf. Renseignez-vous, om m'a dit que cette histoire a fait l'objet d'un rapport déposé aux archives de votre gouvernement. (Le fait s'est produit en 1837 à Lahore, le rapport est consultable aux archives de Calcutta. )Le fakir avait donc acquis une complète maîtrise de la fonction respiratoire et pouvait la suspendre à volonter sans risquer de mourir. Et ce n'était même pas un adepte du Yoga, car j'ai entendu dire qu'il n'avait rien de particulièrement recommandable. Il s'appelait Haridas et vivait dans le Nord. Si cet homme a pu vivre si longtemps sans respirer dans un espace sans air, que croyez-vous que puissent faire nos maîtres qui ne cherchent pas la publicité et dont le désintéressement est indubitable ?

Notre Yoga nous procure d'ailleurs d'autres pouvoirs non moins efficaces, poursuit Brama après un moment de silence. Mais qui, en ces temps de décadence, se soucie de l'effort nécessaire ?

- Que voulez-vous ? Quand on vit comme nous dans le tourbillon de la vie quotidienne, il ne reste plus de temps pour les activités désintéressées.

  - C'est vrai, elles ne peuvent être que l'apanage de quelques uns. Vous comprenez ainsi que les maître qui les enseignent se soient enfermés dans le silence et le secret. C'est aux disciples de les chercher et à aller à eux. »

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